La cartographie en France.

 

En France, la cartographie continue à s’intéresser à l’administration et à la gestion des terres, comme l’illustrent les plans domaniaux ecclésiastiques ou seigneuriaux, les plans-terriers, les inventaires forestiers. L’Etat, lui, s’inquiète des ports et des frontières, pour la guerre et pour le commerce. Les plans des villes fortifiées sur papier ou en plans reliefs sont devenus des outils stratégiques indispensables. Louis XIY fait dresser une carte de la côte atlantique par « ces messieurs de l’Académie », mais le résultat s’avère bien médiocre.

Avec la dynastie Cassini, la France, au XYIIIe siècle, ouvre la voie à la cartographie moderne, qui s’appuie sur la géodésie, c’est-à-dire sur l’établissement de points de repère fixes, eux-mêmes établis d’après les coordonnées géographiques (Nord, méridiens, parallèles). On pourra déterminer la position exacte de chaque point du territoire par la « triangulation ». Cette méthode, qui découpe une portion de territoire en triangles à partir d’un repère initial, permet d’obtenir une distance sans la mesurer sur le terrain, par simple calcul géométrique (suivant le principe que, dans un triangle, si l’on connaît un côté et les angles adjacents, on peut calculer tout le reste). La première triangulation se fait le long d’une ligne méridienne de Dunkerque à Perpignan : c’est la Méridienne. A partir de là, tout un réseau géodésique se met en place, couvrant la France comme une toile d’araignée. La carte de Cassini est une première mondiale à plusieurs titres : c’est la première couverture complète d’un Etat, la première carte topographique d’un grand pays, représentant les lieux – topos – avec de nombreux détails ; et c’est aussi la première carte diffusée dans le grand public.

Napoléon, considérant la carte de Cassini comme une véritable arme de guerre, l’interdit à la vente et la réserve aux militaires et aux fonctionnaires. La carte de Cassini a donc posé, d’emblée, le problème majeur de la cartographie au XIXe siècle. Ce problème reste d’une brûlante actualité : qui dresse la carte ? au profit de qui ? Le XIXe siècle va améliorer les représentations par la mesure systématique des altitudes et le nivellement général. La carte au 1/80 000, dite « carte de l’état-major », qui est d’ailleurs vendue au grand public, comporte pour la première fois la mesure du relief, représenté en hachures.

 

 

La géographie, science républicaine.

 

En même temps qu’ils rendent l’école obligatoire, gratuite et laïque, les républicains font la part belle à la géographie dans les programmes scolaires : elle est citée en 1882, indépendamment de « histoire », et avant elle, dans l’ordre des matières de l’école primaire. Le ministère dote écoles et lycées de cartes : elles font, désormais, partie de l’éducation pour tous. On doit aussi aux hommes du XIXe siècle d’avoir contribué à remplir les « blancs » qui subsistaient par des expéditions, celles qui doublent la conquête coloniale et celles qui sont plus scientifiques. Mais ils sont encore piétons arpentant la terre, hommes de terrain. Seules l’aviation et la découverte de la photographie stéréoscopique (en relief) vont permettre de réaliser des cartes à partir de prises d’information à distance. Depuis les années 1960, le satellite et l’ordinateur ont fait entrer la cartographie dans l’ère postindustrielle. Des spatiocartes aux anamorphoses (cartes volontairement déformées et établies par des calculs logarithmiques), les cartes ont radicalement changé de visage.

Concurrencées dans la représentation de la Terre par des produits issus de la télédétection et des ordinateurs, elles appellent une redéfinition de leurs caractères spécifiques et de leurs fonctions. Quest-ce qui différencie la carte d’une photographie aérienne ou d’une image satellite ? La carte est d’abord une création, un objet intellectuel qui a demandé un travail sur la matière première brute fournie par télédétection. Elle sélectionne les informations. Les cartes dites « thématiques » ne traitent chacune que d’un seul phénomène (les avalanches, les forets, les cultures, les pollutions). De plus, la carte a une échelle, des petites (à partir du 1/1 000 000) aux grandes (jusqu’au 1/500 de certains parcellaires urbains), alors que la donnée brute est à échelle fixe. Les clichés 24x24 cm des photos aériennes prises à 3 000 mètres d’altitude donnent des images au 1/30 000 que l’on peut agrandir ou réduire. Mais changer d’échelle en cartographie ne signifie pas faire plus grand ou petit ; cela consiste à changer la quantité et la qualité des informations retenues.

 

 

Institut géographique national (IGN).

 

En France, l’Institut géographique national (IGN), créé en juin 1940 en remplacement du service géographique des armées pour éviter que les cartes ne tombent aux mains de l’envahisseur nazi, est aujourd’hui un établissement public à caractère administratif dépendant du ministère de l’Equipement, des Transports et du Tourisme. La moitié de son budget provient de la vente de ses cartes au grand public, de ses bases de données géographiques aux utilisateurs professionnels ou de l’exportation de son savoir-faire à l’étranger via sa filiale IGN-France international. Aujourd’hui l’IGN est chargé d’établir et de mettre à jour le Référentiel à Grande Echelle (RGE®) sur toute la France, DOM-TOM compris. Il s’agit de quatre bases de données de précision métrique. La première est la BD ORTHO®, gigantesque photographie aérienne rectifiée numériquement de 7 téraoctets (ou 7 000 giga ou encore 7 millions de méga) avec une résolution au sol de 50 cm. On trouve ensuite la BD TOPO®, qui correspond à l’information géographique des 2 000 cartes IGN au 1/25 000 sous la forme d’une base de données structurée et intelligente ( en mode vecteur). Comme elle contient tous les bâtiments, en distinguant leur nature, ainsi que toutes les voies de communication progressivement jusqu’au moindre sentier de randonnée, elle ne se terminera qu’en 2007, mais déjà sa mise à jour en continu a commencé. La troisième base est la BD PARCELLAIRE®, fruit de la collaboration avec le service de cadastre (qui dépend du ministère des Finances). Après le scannage des 500 000 feuilles cadastrales, piloté par la Direction générale des impôts, l’IGN assure la cohérence géométrique, les raccords et la continuité des plans cadastraux ainsi numérisés sur l’ensemble du territoire. Fin 2007, la BD PARCELLAIRE® sera superposable avec la BD ORTHO® et la BD TOPO®. Enfin, la quatrième base de données, la BD ADRESSE®, dernière composante du RGE®, permettra d’attribuer à chaque parcelle une adresse unique. L’IGN y travaille en partenariat avec l’INSEE et

la Poste. Par ailleurs, il existe d’ores et déjà d’autres bases de données comme l’IGN GEOROUTE®, utilisée dans les systèmes de navigation embarqués à bord des véhicules. La BD CARTO® de l’IGN décrit quant à elle les principaux réseaux routier, ferré, hydrographique et électrique ainsi que l’occupation du sol (le tout avec une précision décamétrique). Elle est utilisée par de nombreux services de l’Etat ainsi que par les gestionnaires de réseaux. La BD ALTI®, constituée dans les années 1980 en numérisant toutes les courbes de niveau des 2 000 certes IGN au 1/25 000 pour les besoins de la Défense nationale, permet de modéliser numériquement le relief de la France : elle a servi, entre autres, à tous les opérateurs de téléphonie mobile ou de télévision pour implanter leurs antennes-relais. Enfin, la BD NYME® qui comprend les 2 millions de toponymes (noms de lieux) des cartes IGN Série Bleue ou TOP 25®, géo-référencés par leur coordonnées, est aujourd’hui accessible par internet. De même, on peut consulter la BD GEODESIQUE®, qui recense et situe les 80 000 points de repère géodésiques français (bornes IGN, clochers, châteaux d’eau et désormais stations GPS permanentes), ainsi que la BD NIVELLEMENT® avec ses 400 000 repères de nivellement dont l’altitude est connue au millimètre près par rapport au niveau zéro donné par le marégraphe de Marseille. La diffusion gratuite de ces informations géographiques – très utiles aux géomètres - experts et aux aménageurs du territoire – fait partie de la mission de service public.

Depuis les tablettes d’argile de Mésopotamie retraçant le cours du Tigre et de l’Euphrate jusqu’aux systèmes de cartes militaires embarqués à bord des avions et des chars américains en Irak, la boucle et bouclée. Mais en 4 000 ans d’aventures et de passions, la cartographie s’adresse toujours à l’imagination et à l’imaginaire des hommes. Elle a heureusement trouvé des applications pacifiques qui se multiplient à l’infini avec le progrès de l’informatique. De l’aménagement du territoire en passant par le développement durable, la lutte contre les incendies ou les inondations, l’insertion de projets dans le paysage, etc., les systèmes d’informations géographiques contribuent sans conteste à améliorer la vie quotidienne de millions d’habitants de notre planète.